OURIKA / EDOUARD

de Claire de Duras

par Eva Doumbia

Avec Fatou Malsert, Nino Djerbir et une classe de lycéen.nes
Piano : Lionel Elian

La Compagnie La Part du Pauvre/Nana Triban propose une mise en espace en milieu scolaire, de deux textes d’une romancière oubliée, Madame de Duras.

Présentée à leur époque comme des romans sentimentaux, « Ourika » et « Edouard », pourraient être considérés aujourd’hui comme sociologiques. En effet, chacun traite, à travers une histoire d’amour, de relations de classe et de racisme.

Intention

L’autrice : Claire Louisa Rose Bonne, duchesse de Duras est née de Coëtnempren de Kersaint le 27 février 1777 à Brest. Fille d’un aristocrate libéral intéressé par les idées révolutionnaires, mais qui fut tout de même guillotiné, elle est elle-même sensible aux grandes revendications de son temps : ses romans, Olivier, Ourika et Edouard, qui traitent tous les trois du sentiment d’exclusion, témoignent de la modernité de sa pensée. Amie de Mme de Staël et de Chateaubriand, elle tient, sous la Restauration. un salon qui est l’un des centres de la vie littéraire parisienne. Elle décède le 16 janvier 1828 à Nice. Elle est quelque fois considérée aujourd’hui comme une précurseuse féministe.

Les textes que nous lirons :

« Ourika », le plus connu (ou le moins méconnu), écrit en 1822, porte le nom d’une jeune fille noire, éduquée dans le noblesse : le poète Stanislas de Bouffier, un temps Gouverneur du Sénégal sauve de l’esclavagisme une petite fille de 3 ans, qu’il confie à son retour en France, à son oncle le Maréchal de Beauvau-Craon. C’est l’époque où la mode est, dans la noblesse, d’adopter des « négrillons » et « négrillonnes », qu’on déguise à la façon «orientale », et qu’on exhibe, cajole, au côté des lévriers et autres animaux domestiques.
Ces enfants et jeunes gens noirs qui figurent sur les tableaux célèbres depuis le 17ème, tels ceux de Watteau. Mais Monsieur et Madame de Beauvau élèvent Ourika comme leur propre fille, lui donnent la meilleure éducation de leur classe. Vient la Révolution. Le maréchal de Beauvau, homme éclairé, y est favorable. Il est quelque mois ministre et meurt de maladie au printemps de 1793. La jeune Ourika meurt de tuberculose à 16 ans en 1799.
De cette histoire réelle, Madame de Duras, tire un des premiers romans français qui parle du racisme.
Il raconte l’histoire de la jeune fille, gracieuse, douée, intelligente et aimée de tous.
Un jour, cachée derrière un paravent, elle surprend une conversation entre sa bienfaitrice et une amie. Celles ci s’interrogent sur l’avenir de la jeune fille, qui ne pourra être épousée par un homme de son rang en raison de la couleur de sa peau et dont l’éducation éloigne des hommes de sa couleur, esclaves ou artisans.
Prenant conscience des conséquence de la couleur, Ourika tombe malade de chagrin. A ceci se rajoute un amour impossible pour Charles, fils de sa bienfaitrice, et dont la peau est blanche. Elle trouve refuge dans la foi chrétienne et meurt au couvent à l’âge de 18 ans. Le texte est une confession à la première personne.

Ce texte est une belle introspection sur les questions de ce qu’on appelle « la race ». On peut y découvrir, que contrairement aux idés reçues, ces questionnements existent depuis longtemps en France, et qu’il a existé des auteur.es français.es, qui, en pleine période esclavagiste, auraient pu être qualifiés d’anti-racistes.
Evidemment, Madame de Duras ne remet pas en question la hierarchie des cultures et des phénotypes, mais elle donne un statut de sujet à son personnage.

Le roman, court, écrit presque entièrement à la première personne du singulier permet une forme légère. Grand succès dans les salons littéraires, il a donné lieu dès sa sortie à quatre adaptations au théâtre, qui toutes ont été des échecs. D’une part en l’absence de comédiennes à la peau noire, le recours au grimage était nécessaire, rendant ridicule le drame. Par ailleurs, si la lecture solitaire permet l’empathie, il n’en est pas de même avec l’incarnation, qui laissait affleurer tous les préjugés de race.

Aujourd’hui, la mise en lecture de ce texte permet à la fois de faire connaître une romancière méconnue et d’aborder les questions de racisme par l’intime et du point de vue historique.

Publié en 1825, Edouard est également un roman court qui connut un grand succès à son époque. Là, il ne s’agit pas de race, mais de condition sociale. Le personnage éponyme, brillant jeune avocat, roturier donc, est épris de la fille de son bienfaiteur et tuteur, noble.

A la différence d’Ourika, son amour est payé de retour. Madame de Nevers, jeune veuve, lui popose de fuir et de l’épouser. Or le jeune homme est d’honneur et refuse dans la plus grande partie du récit de couvrir de honte son aimée. Lorsqu’il accepte sa proposition, à savoir s’enfuir et l’épouser dans un pays plus permissif (la Hollande déjà), leur amour est révélé et ils sont séparés (par le père de l’une et tuteur de l’autre).
Renonçant à une carrière offerte par ce dernier, loin de Paris, il s’engage dans l’armée française qui aide les Etats Unis contre les Anglais. Après sa confession, il meurt, sur le champ d’honneur, sans avoir su que son amoureuse est morte de chagrin.

Ce qui est intéressant dans le livre, hormis ses qualités littéraires, c’est encore une fois l’introspection du personnage, le narrateur. A aucun moment il ne se révolte contre sa condition, et finalement, c’est sa résignation qui nous aide le plus à comprendre la force aliénante de la classe sociale, encore à l’oeuvre de nos jours.
Car il y a plusieurs manière de lire ce roman : on peut penser qu’il remet en question le fonctionnement des classes sociales, ou au contraire que son auteure fait l’apologie des des valeurs morales aristocrate de son époque (distinction, courage, religion, honneur).

On peut également laisser le doute sur sa volonté : en racontant une histoire d’amour impossible, elle n’a fait montre d’aucune dénonciation. C’est notre lecture, contemporaine, qui permettra de démontrer la construction de nos propres préjugés de classes.

MISE EN MIROIR

Les ouvrages, courts, sont aujourd’hui publiés dans un ensemble (un troisième finit ce cycle, « Olivier ou le secret », qui a l’impuissance pour thématique).
La lecture successive des deux premiers est à la fois une mise en miroir des deux problématiques, souvent associées (classe et race), mais également une mise en perspective de la manière dont nous les pensons aujourd’hui.
Lire ces livres et les faire entendre aujourd’hui, c’est la possiblité d’une analyse historique des constructions sociales.
Dans notre projet, nous lirons les amours d’Edouard et Ourika avec les lunettes de Bourdieu.

MISE EN LECTURE ET EN MUSIQUE

Du point de vue scénique, nous voulons sortir de la facilité d’une forme entièrement monologuée pour ces textes écrits à la première personne du singulier, et donner l’alternance vocale pour ces textes.
Il nous semble important de faire entendre l’époque où le texte a été écrit. La langue sera dite dans toute sa préciosité et la seule référence contemporaine sera incarnée par les élèves qui participeront à la lecture.
Dans la mesure de nos moyens, les éléments de costumes et de décor se référont aux début du 19ème (la Restauration), et des airs de l’époque seront interprétés au piano (clavier transportable), en direct par le musicien Lionel Elian.

Adresse

Théatre des Bains Douches
17 Rue Théodore Chennevière
76500 Elbeuf

Tél : 09 81 24 99 15

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