Le iench
Texte et mise en scène : Eva Doumbia
Ce spectacle est dédié à la mémoire de Sériba Doumbia
Texte et mise en scène Eva Doumbia
Musique Lionel Elian
Scénographie Aurélie Lemaignen
Chorégraphie Kettly Noel
Assistants Clémence Pichon et Fabien Aissa Busetta
Régisseur général Loic Jouanjan
Créateur son Cédric Moglia
Créateur lumière Stéphane Babi Aubert
Accessoires et costumes Emmanuelle Herondelle
Construction décor Atelier de la Comédie de Saint-Etienne
Avec
Emil Abossolo-Mbo / Habib Dembélé
Jocelyne Monier en alternance avec Catherine Dewitt
Nabil Berrehil, Fabien Aissa Busseta, Catherine Dewitt, Sundjata Grelat / Akram Manry, Binda N’gazolo, Salimata Kamaté, Fatou Malsert / Olga Mouak, Fréderico Semedo, Souleymane Sylla
Partenaire : Actes Sud
Photos © Arnaud Bertereau
LE IENCH (CHIEN)
Production déléguée : Théâtre du Nord – CDN Lille-Tourcoing-Hauts-de-France
Coproducteurs : La Part du Pauvre, Artcena, La Comédie de Saint Etienne, Les Producteurs Associés de Normandie (Centre dramatique national de Normandie – Rouen, Le Préau, Vire Centre dramatique de Normandie – Vire, La Comédie de Caen CDN de Normandie, Le Trident Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin, DSN Dieppe Scène Nationale, Le Tangram Scène Nationale d’Evreux Louviers), théâtre de la Joliette, Arcenat.
Avec le soutien de la Région Normandie et le Département de Seine Maritime
Avec le soutien des écoles : JTN, FIJAD, DIESE et ESAD
« J’ai 11 ans.
Je rêve de chiens.
Depuis toujours je rêve d’un chien.
N’importe quel chien.
Toujours de chiens.
Alors quand on commence à parler de posséder un pavillon tout de suite je pense le jardin, la niche du chien.
Tout commence par Un lopin dessiné par le cadastre.
Propriété hante les conversation des parents. On va dans des banques.
Mes parents demandent des acomptes.
Le banquier dit bonjour monsieur Diarra, avec un sourire qui n’existe pas. Acte de propriété.
La viande de la sauce devient plus rare.
Et au dîner ma mère se met à couper les pommes en deux pour Ramata et moi.
L’odeur de terre retournée et humide qui pique mes dimanches embrumés. Les week-ends, on visite les maisons-témoins.
Du ciment et le gris du du béton.
Un ennui enfantin qui se nomme Bouygues, Phénix et épigones.
Témoins aussi les cuisines équipées les canapés chez conforama les salles de bains en émail. Des carrelages éblouissant de routines à venir. J’attends que ça passe en rêvant canin.
Puis viennent les dimanches où avec Ramata et le Petit Seydouba nous jouons sur le chantier de notre maison. Et sous la terre creusée de fondations, les sacs en gravats, les poutres qui blanchissent, mon oeil voit se dessiner les fleurs de notre jardin bordé d’une clôture blanche. Et je pense canidé. Encore et toujours les chiens me hantent »
La Famille
Tout le monde en a une, on peut l’aimer ou « la haïr », parfois les deux à la fois. C’est un thème important dans la fiction.
Souvent on a en tête celle de la publicité : un couple, parfois séparé, quelques enfants, des relations qui se tendent les jours de fêtes, des mères aimantes qui se révoltent contre leur condition de femmes, des enfants qui se jalousent, des pères autoritaires, copains, ou dépassés. Cette famille-là est universelle, mais pas complètement.
Car, oui, il y a plusieurs types de familles. Une partie de la population française ne connait pas, par exemple, le poulet rôti du dimanche ou les fêtes de familles où on s’engueule en parlant politique après deux ou trois digestifs. La famille d’origine asiatique, juive, maghrébine ou sub-saharienne est différente, toute en étant pareille.
Or, la famille au théâtre français est souvent bourgeoise, blanche, et quand elle ne l’est pas, elle vit dans une HLM, souvent sordide. En tant que spectatrice, lectrice de théâtre, et en tant qu’artiste j’avais ce manque d’une famille autre, en tout cas, un peu différente. Avec d’autres personnages. En adaptant Chester Himes, Léonora Miano ou Maryse Condé, j’avais pu trouver des personnages noirs, mais rien qui puisse permettre au public de s’identifier à une famille lambda qui s’appellerait Koné, Massamba ou Nzongo. Après la publication par Vents d’Ailleurs de mon premier récit, j’ai eu envie de me mettre à écrire cette famille là pour le théâtre. J’ai donc commencé en juin 2015. L’idée était simple, celle d’un jeune garçon afro-descendant qui souhaite adopter un chien pour ressembler aux blonds des publicités. (Cette culture de l’animal domestique est peu courante dans les familles africaines). Je voulais symboliser par là le désir de banalité du garçon. Je voulais également montrer comment se divisent les discriminations qui affectent les garçons noirs et les jeunes filles noires, à la fois au sein et en dehors de la famille. J’ai donc donné à ce garçon une soeur jumelle. Je voulais une histoire sensible, intime un peu drôle aussi, à laquelle l’on puisse toutes et tous s’identifier Puis Adama Traoré a été tué, j’ai pensé à des proches. Je me souviens de nuits pleines d’angoisses. Ce décès a imprégné le texte en train de s’écrire.
Eva Doumbia
Résumé
Drissa Diarra est un garçon noir. L’année de ses 11 ans, avec ses parents Issouf et Maryama, sa jumelle Ramata et son petit frère Seydouba, il emménage dans un pavillon en province. Alors Drissa rêve sa famille en blonds de télévision : les deux voitures dans le garage, les repas du dimanche. Et surtout le chien.
Ce désir de chien devient son obsession.
Le bac, le permis à 18 ans et danser en boite, toute la banalité de la jeunesse de France s’incarne dans le corps désiré du canidé.
Sa soeur Ramata se rase le crâne pour qu’on ne parle plus de ses cheveux crépus, elle ne sait pas si elle est jolie parce que les garçons de sa classe ne la notent pas, et elle enrage de faire la vaisselle avant les devoirs, alors que ses frères et son père ne font rien dans la maison.
Autour des jumeaux, il y a les amis de presque toujours : Mandela, un enfant haïtien adopté par des enseignants divorcés et blancs, qui a grandi à Marseille, Karim un fils d’ouvriers marocains. Tout pourrait couler comme le fleuve parfois houleux des existences de minorités et finalement se tasser. Mais Drissa, têtu, veut abattre les obstacles à la banalité pour les garçons noirs. Il insiste pour adopter un chien, il insiste pour aller danser en boîte. « Donne moi une bonne raison pour que je ne puisse pas en être » est son leitmotiv.
Son chemin rencontre celui de policiers, il disparaît. En arrière plan, gronde la litanie des garçons tués sous les coups de la police de France (Une liste de victimes depuis 2005 a été établie par le collectif militant «Urgence la police assassine ». Le texte ne mentionne que les cas avérés). La famille de Drissa vit dans l’angoisse et c’est cette angoisse qui permettra au père de dire le récit de son arrivée en France. Ramata chante la dernière révolte.
Intention
Tant de choses ont été écrite, jouées, et dites sur ceux qui vivent entre deux mondes.
Est-ce que cela procure une sorte d’exil intérieur permanent ? Une non appartenance car trop d’appartenance ? Quelles possibilités cela ouvre-t-il et aussi quelles impossibilités, quelles lucidités ? L’afro-européen peut décider de ne pas savoir ni vouloir qu’il l’est. Ou au contraire aimer cette dualité. Mes personnages refusent de subir, ils veulent modifier leur société. Pouvoir choisir. Ils se confrontent à des injonctions contradictoire : ils sont fidèles au patriarcat familial (le refus du chien), les us et manières arrivées avec les parents et en même temps obéissent à une société où ils ont grandi. Drissa veut sortir de tous les clichés, il ne veut être ni délinquant noir ni une exception (le fort en foot, le chanteur de soul, le scientifique doué qui a pris l’ascenceur social). Mais ni lui ni ses amis ou sa soeur « ne sont des cellules isolées », et ils ne peuvent changer des représentations qui les dépassent. Malgré leurs efforts, ils glisseront.
Presse
L’écriture rigoureuse d’Eva Doumbia fouille le réel en puisant dans les témoignages récoltés au gré des rencontres et des collaborations, et va chercher dans la langue vernaculaire comme dans la métaphore onirique – bref dans la langue véritable des jeunes avec ou sans « origines » – ce qui pourrait formuler au mieux le fait de ne pas être blanc. »
« Atelier des genres et des identités, Le Iench compose une fresque humaine où la nuance est la première exigence, où le sujet non blanc prend le micro à la première personne, le regard droit et la tête haute. Avec ses personnages, avec ses comédien.ne.s, Eva Doumbia construit un théâtre hospitalier, où l’on entre avec politesse et respect, comme un voisin ou un invité venu de plus loin, et où la famille et les amis, sur scène et dans la salle, s’imposent en premiers alliés contre les violences systémiques et les assignations à une citoyenneté de seconde zone.
Pièce autant que manifeste, Le Iench dessine toutes les violences, tous les traumatismes endurés, des plus banals aux plus tragiques, dont sont victimes les personnes issues de l’immigration. À la diversité des niveaux de récits répond la richesse de l’écriture d’Eva Doumbia, passant de dialogues à la langue prosaïque à d’autres paroles poétiques, voire lyriques. Emmenée avec conviction par la metteuse en scène – dont on pressent les inspirations autobiographiques – et joliment interprétée par la troupe d’acteurs réunie, cette fresque ambitieuse touche au cœur par sa démarche et son énergie.
Dans Le Iench, Éva Doumbia raconte avec justesse et réalisme la vie de cette famille d’exilés, perce l’intimité de celles et ceux qui vivent avec ce sentiment de différence renvoyé par une société qui prône paradoxalement l’intégration. Il y a aussi les humiliations, les provocations et les violences policières que l’autrice a minutieusement étudiées. Avec elle, les mots claquent et résonnent fort. Dans une esthétique cinématographique, les scènes, interprétées par une équipe remarquable de comédiennes et de comédiens, s’enchaînent à grande vitesse. L’histoire emmène dans un grand tourbillon, au rythme du plateau tournant, et ne peut prendre fin qu’avec une issue fatale. Elle laisse sans voix après une traversée d’émotions
Dans Le Iench, Eva Doumbia dénonce les violences quotidiennes d’un monde raciste et patriarcal à travers une fiction familiale. Incarnée par une belle équipe d’acteurs, cette pièce-manifeste dit la nécessité d’un théâtre à l’image de la société.
Adresse
Théatre des Bains Douches
17 Rue Théodore Chennevière
76500 Elbeuf
Tél : 09 81 24 99 15
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Infos pratiques
Gratuit sur réservation
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